Une grossesse, c'est 9 mois. 9 mois de bonheur, de grâce quasi-divine, de transe extatique. C'est du moins la vision qu'a celle qui n'a jamais eu d'enfant en croisant une femme au ventre rebondi et à l'oeil tendre et ému.
Entre les lieux communs : "la grossesse, c'est merveilleux ! ", les croyances populaires : "9 mois de bonheur, un véritable état de grâce" et ce que les mères et grand-mères (qui sont donc déjà passée par là) racontent : "Je n'ai jamais été aussi heureuse que pendant ces 9 mois de ma vie ! "; la crédule jeune femme qui n'a jamais eu d'enfant pense que la grossesse est un chemin doux et agréable, semé de découvertes merveilleuses.
Alors quand la jeune femme tombe enfin enceinte et voit son rêve de plénitude enfin réalisé, elle s'imagine que le parcours médical accompagnant la grossesse est une sinécure, qu'elle va avoir droit à de merveilleux examens qui vont la combler de joie et de béatitude...
Le premier rendez-vous gynécologique:
- La jeune femme (appelons-la Jef pour plus de commodité) se voit déjà face à sa gynécologue, les yeux embués en lui montrant son bâtonnet orné d'un petit "+" bleu, elle imagine son médecin s'extasier avec elle, la féliciter et la prendre dans ses bras en lui prodiguant une multitude de conseils tous plus indispensables les uns que les autres.
- En réalité, Jef va rentrer dans le cabinet de sa gynécologue. Elle va s'asseoir et lui annoncer qu'elle est enceinte. Sa gynéco ne va même pas lever un sourcil... C'est à dire que des femmes lui annonçant leur grossesse, elle en voit environ trois par jour.
Elle va lui demander de l'ausculter, va conclure, que, en effet, elle est enceinte (sans lui expliquer comment le tâtonnement de son intérieur lui a permis d'en venir à cette conclusion évidente en 4 secondes). Et elle va ensuite la mettre en garde contre le risque de fausse-couche. Ben ouais Jef, faut pas trop sauter au plafond, ta grossesse, t'as un risque sur quatre de la perdre dans les deux mois !
La gynéco va aussi lui donner des conseils avisés et absolument indispensables tels que "Ne grossissez pas trop" (sans expliquer pourquoi ni comment) ou "Arrêtez le foie gras, on ne sait jamais... Et le saumon aussi, et le fromage, les légumes non-lavés, les crustacés... Et le lait passé depuis trois semaines aussi ! ".
Ensuite le médecin va lui prescrire une batterie de tests pour déterminer si Jef va mourir très bientôt tels qu'un dépistage de la rubéole ou de la toxoplasmose. Sans aucune explication, c'est toujours superflu !
Jef va ressortir de là non sans avoir le sentiment d'être un rat de laboratoire promis à un sort douloureux... Oublié l'impression d'avoir été touchée par la grâce divine !
La première échographie:
- Toutes ses copines le lui ont dit, la première échographie, c'est la rencontre avec le bébé, c'est beau, c'est fort et émouvant ! Jef s'imagine donc rentrer dans un endroit magique face à un médecin ravi de découvrir avec elle son bébé. Elle se voit déjà, tenant la main de son chéri, son début de ventre badigeonné d'un petit gel délicat permettant à l'échographe de passer son appareil extraordinaire. Elle voit aussi le grand écran sur lequel elle va voir son bébé remuer gaiement et peut-être même sucer son pouce ou lui faire un petit coucou.
Elle imagine les larmes d'émotions couler sur ses joues et le sourire béat de son chéri qui se sent enfin futur papa sous le regard attendri du médecin.
- En réalité, Jef et son amoureux rentrent, tout excités, dans le cabinet d'échographie. Le médecin demande sans ménagement à Jef de retirer son "bas" avant de s'allonger sur sa table d'auscultation. Elle ose demander timidement "la culotte aussi ? ", pas de réponse, qui ne dit mot consent...
Pas de douce substance sur son joli ventre mais une sonde vaginale enduite d'un gel super froid... Hop, le médecin a dû décider d'économiser ses échanges verbaux avec ses patients... Jef et son copain ne comprennent rien à ce qu'ils voient et ne sont pas émus du tout.
Quand elle ouvre la bouche pour demander "si tout va bien", le médecin hoche la tête (dans un souci de rétention d'informations, sans doute), il a l'air absorbé par ce qu'il voit, tire des traits sur l'écran à l'aide d'un joystick bizarre.
Enfin, il appuie sur un bouton qui laisse retentir un bébé cheval au galop : le coeur de l'embryon. L'émotion s'empare enfin de Jef, mais c'est de courte durée : "Rhabillez vous mademoiselle !".
Hop, ça finit comme ça a commencé, brutalement et sans aucun renseignement... La grossesse se déroule bien, c'est tout. Pas de larme chaude, pas de sourire béat ni de regard bienveillant...
Le cours de préparation à l'accouchement:
- Comme pour tout le reste, Jef a une idée un peu farfelue et optimiste des cours de préparation à l'accouchement. Elle s'imagine qu'elle va y rencontrer des copines de labeur, qu'elle va y trouver l'écoute dont elle a manqué avec les précédents praticiens qu'elle a dû croiser et enfin avoir des réponses à ses questions.
Elle attend avec impatience ce premier rendez-vous, pleine d'espoir ! Elle va savoir comment appréhender son accouchement avec sérénité et va ressortir avec plein de trucs et astuces afin de ne pas paniquer et de pondre un bébé en deux temps trois mouvements !
- En fait, Jef va rentrer dans une pièce quasiment cabalistique, des ballons colorés partout, une ambiance un peu flippante de sérénité artificielle, des tapis de sol, des faux-bébés et des images de vagin dilaté aux murs.
La sage-femme a l'air charmante, un peu trop presque...
Les autres femmes ont l'air aussi flippées que Jef mais font genre "j'assure graaaaaaave". C'est à celle qui a le plus gros ventre, qui a eu le plus de nausées et qui a survécu. La femme enceinte est visiblement un loup pour la femme enceinte.
La sage-femme explique avec force détails les différentes positions à adopter le jour J. Elle explique comment respirer "surtout pas comme un petit chien, mais avec de grandes respirations pour oublier la douleur!". Elle parle, rassure, non, un accouchement, ça ne fait pas si mal, c'est naturel, le corps des femmes est fait pour expulser des bébés, c'est fou comme le corps humain est bien fait!
Jef est toute rassérénée.
Puis la sage-femme engage les futures mamans présentes à poser leurs questions. Là, ça dérape. Ca parle refus de péridurale, projet de naissance, gestion de la douleur par le massage crânien... Jef est perdue ! Comment ça, on a le choix ? Son parcours de santé auprès des divers référents médicaux ne lui a pas permis d'apprendre les choix qui s'offraient à elle. Elle pensait qu'elle n'en avait qu'un : celui de se taire et de faire ce qu'on lui demande.
Jef ressort de là avec mille questions qu'elle n'avait pas en entrant, elle se demande s'il est véritablement nécessaire d'élaborer un projet de naissance ou si celui-ci peut consister en un simple "Je prends comme ça vient" ? Elle se demande si la péridurale est finalement une bonne idée, si attraper son bébé au vol quand il sort sera une si grande source de ravissement, si refuser l'épisiotomie relève vraiment de ses compétences ?
Bref, elle est entrée là avec un grand besoin de réponses et elle en ressort avec encore plus de questions !
Le suivi de l'accouchement:
- Jef est pleine de désillusions. Elle n'a donc pas trop idéalisé le jour de son accouchement. Elle pense qu'elle va peut être perdre les eaux au milieu de la nuit, ou ressentir de vives douleurs dans l'abdomen qui la conduiront à la réflexion qu'elle est sûrement en train d'accoucher. Elle se rendra alors aux urgences avec son chéri. Ils iront ensuite dans une salle de travail toute blanche d'où ils ressortiront quelques heures après avec un beau bébé tout rose. Simple, efficace !
- La réalité n'est pas très éloignée de ce schéma, Jef démarre effectivement son travail en pleine nuit, c'est plus marrant. Elle et son chéri vont aux urgences où ils sont dirigés vers le service maternité.
Là, elle va se faire ausculter pour vérifier qu'elle ne divague pas et qu'elle est vraiment en train d'accoucher. Une fois le diagnostic d'accouchement imminent posé, elle est emmenée dans une chambre où on la branche à des tas de fils et d'appareils volumineux et un peu bruyants.
Elle se demande comment elle va prendre les diverses positions conseillées par la sage-femme ainsi arnachée...
Environ 8 heures après, on lui annonce que son utérus a enfin fait son boulot et qu'il est suffisamment dilaté pour qu'elle accède à l'endroit prodigieux qu'est la salle de travail.
Là, elle est toujours branchée à des tas de trucs censés mesurer la vitalité de son bébé en cours d'acheminement vers la sortie.
Des tas de gens viennent la voir, des sage-femmes, des élèves, des aide-soignants et même une puéricultrice. Elle est ravie qu'environ 4 personnes différentes aient palpé son utérus afin de constater que "ha ouiii, c'est bien dilaté !! ". L'accouchement est un défi aux règles de base de la bienséance...
Sur les deux heures qu'elle et le futur papa passeront dans cette salle, ils ne seront accompagnés que pendant environ 20 minutes, le temps de faire vérifier à la moitié de l'hôpital que "c'est bien dilaté".
Notre jeune femme n'aura pas le sentiment d'avoir passé les 9 plus beaux mois de sa vie. Certes, elle a été contente de porter la vie, mais elle aurait aimé un peu plus de compassion, d'humanité et d'écoute durant ces 9 mois de suivi médical. Elle aurait apprécié que le personnel, qui semblait fort sympathique, ait eu plus de temps pour l'accompagner comme toute femme portant la vie le mérite. Elle aurait aimé être plus informée et moins infantilisée. Quand ses amies tomberont enceintes, Jef essaiera de ler dire que ce n'est pas le compte de fées qu'on leur a promis !
Je n'ai pas d'enfants. En revanche, mes copines en ont. Elles ont eu la sincérité de dire comme toi que ce n'est pas merveilleux mais que ça pourrait l'être un peu plus avec les médecins... Bizarrement, il n'y en a pas une qui pense en refaire un dans l'immédiat.
RépondreSupprimerC'est sympa de nous / m'avoir montré ton parcours! ;)
Bravo pour ta première participation, moi j'ai plutôt eu de la chance pour le suivi (sauf quand on m'a dit "vous avez fait une fausse couche" suivi de "grossesse extra utérine - vous pouvez mourir" et enfin "ha bah non, j'ai rien dit, tout va bien madame" ...).
RépondreSupprimerAh oui tiens j'avais presque oublié ces posters merveilleux de préparation à l'accouchement... ;)
RépondreSupprimerca c'est bien vrai, salle de travail= toucher vaginal en libre service....toutes les personnes qui défilent vous disent juste bonjour et paf elles s'empressent de vérifier la dilatation au cas où leurs 10 autres collègues se seraient trompés!!!!!Arrrrrrrrrrghhhhhhhhhhh!
RépondreSupprimerJe n'en suis qu'au 5e mois, et jusqu'ici je suis juste totalement d'accord. D'ailleurs ce serait pas mal qu'on nous prévienne avant que ce n'est pas un long beau fleuve tranquille, ces 9 mois ;)
RépondreSupprimerC'est tellement vrai tout ça ! je m'y reconnais totalement...
RépondreSupprimeravec un peu de chance, elle n'aura pas tout oublié pour sa prochaine grossesse et elle choisira quelqu'un d'autre pour son suivi ! l'expérience lui aura au moins servi à ça !
RépondreSupprimer(c'est là que je suis bien contente des personnes que j'ai rencontré la première fois !)
Le personnel médical rencontré au cours de la grossesse vont influencées d'une façon prépondérante la manière dont on vivra cet évènement. Jef n'a vraiment pas eu de chance ... pour la prochaine si prochaine , change de gynéco et d'hôpital !!!
RépondreSupprimerHeureusement c'est pas toujours comme ça. Des gynécos gentil(le)s et compréhensives ça existe (si si même ma fausse couche s'est plutôt bien passée...). Pour la préparation à l'accouchement, il faut trouver la bonne personne, celle qui vous écoute et vous conseille. Nous on est seuls avec la sage femme. Pas de compétition, pas d'appréhension, toutes les questions sont les bienvenues.
RépondreSupprimerJe pensais le savoir, mais maintenant je suis convaincu que la gynéco de ma femme est une perle rare. Juste papa, mais bienvenue aux RDV pour les échos. Elle vient me chercher quand les "examens" sont terminés, juste pour la partie "télé", et ensuite on peut discuter tous les trois. Vu que ma femme, n'est pas une fan de la grossesse, tout le monde y trouve son compte...
RépondreSupprimerJ'adore ce texte, c'est tellement vrai, toutes ces déceptions ! On n'est plus traitée que comme un corps sans âme. Lamentable. Pour les bébés suivants, JEF aura, je l'espère, plus d'expérience, d'assurance et de sérénité !
RépondreSupprimer(Alix, 4 bébés, dont la naissance du premier fut le cauchemar décrit ici)